Jean-Yves Stoquer : travailler en entreprise entre père et fils

Jean-Yves Stoquer

C’est une relation particulièrement difficile à mettre en place, mais qui n’en demeure pas moins possible et même profitable à de nombreux égards. On la retrouve notamment dans l’artisanat, où les noms suivis de « & fils » ou « père et fils » sont nombreux. Voir parfois « père et fille », bien que « mère et fille » demeure décidément encore bien rare… Mais on risque de la voir apparaître à l’avenir, de la même manière que cette association entre parent et enfant apparaît de plus en plus dans des entreprises sans rapport avec l’artisanat. Mais pourquoi est-ce si compliqué à mettre en place ?

Des difficultés à surmonter

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Lorsqu’on a entretenu toute une vie une certaine relation avec une personne, difficile de la faire évoluer ensuite. Et pourtant, dans le monde de l’entreprise, cette évolution est nécessaire car une relation de père à fils n’est pas saine dans un environnement de travail. C’est une relation asymétrique : le fils, ou la fille, est normalement au début de sa carrière, avec encore beaucoup de choses à apprendre, alors que le parent en est au deuxième voir troisième cycle de sa vie professionnelle, il s’est posé et possède de l’expérience, de nombreux acquis. De même, la différence d’âge joue énormément : le rapport au travail n’est plus le même entre la génération des « jeunes » actuels, qui souhaite s’épanouir au travail, pour qui le travail est important mais n’est pas le centre de leur vie et qui sont prompts à vouloir changer les choses, ayant grandi dans une culture où tout bouge vite. À l’inverse, les parents proviennent souvent d’un environnement où le travail est la chose la plus importante, où il est au cœur de la vie de chacun et incarne les valeurs, et pour ces personnes-là, l’expérience est synonyme de compétence et il n’y a pas de vraie raison de changer les recettes qu’ils connaissent déjà. Tout cela représente déjà un défi considérable aujourd’hui, mais l’âge représente désormais une barrière supplémentaire à l’ère d’Internet et de l’informatique, où les jeunes sont très connectés et très au fait des nouvelles tendances, toujours prompts à essayer de nouvelles méthodes et à parler avec des néologismes et des anglicismes, un nouveau rythme que les plus anciens ont souvent le plus grand mal à suivre.

Il y a également la manière d’aborder l’entreprise qui est difficile, notamment quand le parent est bien en place. Dans le fonctionnement interne, le parent a ses habitudes, il est confortablement installé et travaille à son rythme, selon ses méthodes que le fils ou la fille n’accepte pas forcément. Le plus jeune doit respecter ce que son parent a accompli et mis en place, le parent doit faire de la place pour ne pas imposer ni écraser. Dans le fonctionnement externe, le parent possédait souvent déjà ses contacts, qui pouvaient même être des collaborateurs occasionnels ou des amis en plus d’être des clients, et ceux-ci vont devoir revoir leurs rapports humains, sachant que le plus souvent, c’est au plus jeune de s’adapter, et de trouver sa place auprès des relations de son parent. Que de complications ! Et encore, l’élément le plus important n’a pas encore été abordé : le rapport d’autorité entre les deux personnes. Car si avoir son enfant en tant qu’employé, et son père en tant que patron, est déjà compliqué, la situation empire encore lorsqu’il faut renoncer à son rapport d’autorité et accepter l’autre comme étant son partenaire, et traiter avec dans un rapport d’égal à égal. Mieux vaut dès lors fonder une nouvelle entreprise et s’en déclarer chacun co-gérants en étant des associés à 50% chacun. Il est d’ailleurs recommandé de régler toutes les questions d’héritage avant la création de l’entreprise, pour être certain que ce projet n’ait pas d’impact sur l’avenir des différents membres de la famille.

Vers un rapport de complémentarité

Avec son fils Michaël, Jean-Yves Stoquer a réussi à surmonter ces difficultés grâce à une solution très simple : bâtir la relation progressivement et mettre en place un rapport de complémentarité. De base, il est recommandé de faire preuve de discrétion en entreprise, et de pas mettre en avant la relation familiale devant les collaborateurs, les partenaires et les clients, quoi qu’il soit cependant plus sain qu’elle soit connue. C’est un savant équilibre qu’il faut trouver ! Jean-Yves Stoquer est un ingénieur. Son domaine de prédilection, c’est le bâtiment, la base de son entreprise, ce sont les bâtiments sinistrés et les fondations spéciales. Son fils n’a, quant à lui, pas du tout le même profil : après une classe préparatoire, il entre à l’ESSEC, la prestigieuse école de commerce. Cette école possédait un avantage très particulier : il était possible d’arranger les cours selon ses besoins, afin de permettre aux aspirants entrepreneurs de se lancer en même temps qu’ils poursuivaient leurs études. Ainsi, Michaël Stoquer a étendu ses 4 années d’études à 5, et a pu travailler en alternance avec son père. On remarque ainsi deux éléments très intéressants dans cette relation : d’abord, un lieu d’autorité a été préservé. Mais il ne s’agit pas du lien d’employeur à employé, très exigeant : un alternant demande de l’attention mais est là pour apprendre, ce qui se rapproche d’un rapport parental, d’autant plus que si un alternant commence à se responsabiliser et à apprendre par l’expérience, on est patient avec lui et on lui permet de faire des erreurs. L’autre élément important, c’est la complémentarité des deux hommes. Jean-Yves Stoquer est compétent sur le plan technique, il a une longue expérience en la matière, connaît bien les sols instables et maîtrise parfaitement les travaux de reprise en sous-œuvre, il a formé son fils dans tous ces domaines mais l’a laissé devenir complémentaire à ses travaux sur le plan commercial. L’évolution de la relation s’est donc fait de manière progressive : l’alternance est une excellente transition entre le rapport de parent à enfant et le monde du travail, pour aboutir à une relation complémentaire où chaque va aider l’autre et où les deux vont totalement travailler de concert, sans que l’un n’ait à s’imposer.